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Place des parents, Place des enfants - Posture « terre meuble » du thérapeute.

Par Josiane Chauveau Obringer

J’avais déjà longuement travaillé avec les enfants avant d’engager mon activité de gestalt-thérapeute, pourtant au fil de ma pratique ce sont bien les parents d’une part, les enfants d’autre part qui m’ont « fait » thérapeute d’enfants et d’adolescents.

De cet apprentissage au quotidien, je retiens aujourd’hui deux axes essentiels qui déterminent ma posture :
- inclure les parents dans mon travail, que ce soit de façon active ou passive, ce qui nécessite un préalable : être dans une suffisante ouverture à ce père-là, à cette mère-là.
- dans le travail thérapeutique avec les enfants me faire « terre meuble », matière que l’enfant peut pétrir jusqu’à l’émergence d’une forme, sa mise en conscience et la reprise d’un mouvement évolutif.

La place des parents.

Le protocole que j’ai mis en place implique de voir les deux parents préalablement à toute décision d’orientation de travail, que les parents soient en couple, séparés ou en cours de séparation difficile ou houleuse.
Ce pour deux raisons majeures : remettre les parents conjointement dans une position parentale et éviter de faire vivre à l’enfant l’écueil d’un conflit de loyauté, voire un clivage de loyauté (cf. Ivan BOSZORMENYI-NAGY ).
Le thérapeute qui reçoit un enfant sans avoir l’accord des deux parents se trouve implicitement soutien du parent demandeur, la parole de l’enfant n’est plus libre, elle se trouve colorée par l’adhésion ou l’opposition au positionnement du thérapeute.
L’enfant, plus encore le très jeune enfant est en situation de dépendance à son environnement. Le lien et les liens qui s’établissent en thérapie et avec le thérapeute doivent être signifiants d’une forme de relation au monde et par là même s’inscrire dans le réel.
Souvent ce qui apparaît sous le symptôme est une difficulté relationnelle intra familiale (relation mère / enfant- père / enfant – père / mère) ou extra familiale (parents / institution) ; la thérapie est le lieu où l’on va tenter de retisser ces liens. Le thérapeute doit s’inscrire et tisser lui-même des liens autour de l’enfant, lui signifier ainsi que le lien est possible, qu’il n’est dangereux ni pour le parent ni pour l’enfant.

Chaque situation est particulière, chaque demande singulière et chacun des protagonistes, enfant et parents arrivent avec son appréhension spécifique du monde, ses représentations propres et son histoire.
Aussi si les demandes peuvent s’articuler autour des mêmes symptômes : agitation scolaire, troubles du sommeil, énurésie, encoprésie, arrêt de croissance, expression du désir de ne plus vivre ou autres, j’observe que ma réponse n’est jamais la même.
Ce qui m’intéresse n’est pas le symptôme, mais ce qui fait que cette difficulté existe, comment elle est vécue par chacun et quelles réponses y est apportée au sein de la famille.
Ce qui va me permettre de déterminer comment dans cette situation là, avec ces parents là et cet enfant là, je vais m’orienter auprès de l’enfant, auprès des parents ou dans une alternance de travail avec l’enfant et avec les parents, ce sont les premiers entretiens.

Inclure les parents, pourquoi ?

- Parce que l’enfant par nature et par sa dépendance initiale est fidèle et loyal a ses parents.
- Parce que, l’alliance thérapeutique ne peut bien souvent se faire avec l’enfant que s’il sent ses parents totalement partie prenante de ses venues en thérapie, s’il les sent confiants, sereins dans la relation avec le thérapeute.
L’alliance peut se faire avec l’enfant sans qu’il y ait relation avec les parents, lorsqu’il est plus grand : adolescents aux prises avec des interrogations propres ou des questions existentielles par exemple. Mais même dans ces cas-là, je peux avoir de loin en loin, des contacts téléphoniques avec les parents, ces échanges ne concernent évidemment pas ce qui se dit en séance, les parents ont besoin d’être rassurés ou de me communiquer des éléments du réel. Les adolescents, en général, sont contents de ces contacts et les approuvent. Bien sûr, cela dépend de la difficulté qui les amène et pour certains une étanchéité est indispensable.
Lorsqu’il est plus jeune, l’alliance avec l’enfant peut être réelle, mais elle peut générer un conflit de loyauté chez l’enfant s’il n’y a pas d’alliance avec les deux parents ou faire naître des tentatives de manipulations « Josiane a dit qu’il ne fallait pas que j’aille en colo » ; « papa m’a dit que ça servait à rien que je vienne ici, que ne suis pas fou »…
- Parce que travailler avec l’enfant ET les parents évite de renforcer des clivages, tente même de permettre la sortie de clivages.
- Parce que en tant que Gestalt-thérapeute, je considère l’enfant, notamment les très jeunes, dans son environnement dont le plus prégnant est ses parents, sa référence encore quasi-exclusive est celle-là, j’inclus les parents avec un dosage différent selon les situations.

 Je me souviens d’un exemple cuisant au début de ma pratique où j’ai cumulé les « bourdes », le non-ajustement de ma posture a mis un terme à la thérapie.
Le souvenir d’Arthur, 5 ans, m’est encore douloureux. Sa mère m’avait sollicitée car son fils ne supportait aucune séparation ; le père de l’enfant refusait catégoriquement de venir. L’enfant dormait entre ses parents. Arthur hurlait à chaque séparation à tel point que la mère vivait, disait-elle, un calvaire. Arthur a très facilement accepté de venir en séance, une relation s’est établie entre nous au point qu’il demandait « quand est-ce que je vois Josiane ? ». Je ne voyais la mère qu’au moment des accompagnements. Arthur grimpait avec un grand sourire dans le cabinet oubliant souvent de dire au revoir à sa maman.
Deux mois et demi après le début de la thérapie, alors qu’elle venait le chercher, la mère m’annonce qu’il ne reviendra pas, mettant en avant un problème pécuniaire. Je proposais à minima de revoir Arthur une fois pour lui dire au revoir et tenter de clore quelque chose, la mère prétexta ne pas avoir le temps… tandis qu’Arthur hurlait « je veux revenir » et se tapait la tête sur le sol en suppliant sa mère.
Ce moment épouvantable à vivre m’a donné une leçon. Comment pouvais-je ainsi prendre une place, un espace dans la vie de cet enfant alors que sa mère ne pouvait pas supporter l’idée qu’il se décolle d’elle, même si paradoxalement elle le réclamait. J’imagine que si je lui avais laissé plus de place, que si je l’avais régulièrement introduite dans l’espace des séances de son fils, si j’avais engagé un travail en parrallèle avec elle, elle aurait plus facilement accepté qu’il continue à venir, elle n’aurait pas été renvoyée de façon insupportable à un sentiment d’exclusion, à sa peur de l’autonomisation de son fils.

Faire appel à un thérapeute est parfois vécu par les parents comme une incapacité à avoir su être un bon parent pour son enfant, comme une mise en échec de la fonction parentale par l’enfant. Non seulement cet enfant ne répond pas à leurs attentes, à leurs espoirs, mais il vient les disqualifier dans leur fonction parentale. Il y a là une souffrance des parents qu’il est nécessaire de reconnaître et de nommer.

Dans une autre situation, il y a quelques années, j’ai complètement raté l’accroche avec les parents ce qui a mis en échec l’accompagnement de cette adolescente. Je n’ai pas réussi à prendre du recul avec les sentiments dont m’imprégnait cette mère, sa rigidité, une forme de mépris en parlant de sa fille, comme si elle n’était pas digne d’elle, j’ai reçu l’ado une semaine après avoir vu les parents, le courant est passé, la jeune fille était d’accord pour engager un travail…et je ne l’ai jamais revu. Quoiqu’il ait pu se passer, une part me revenait, je n’avais pas fait le ménage en moi, je n’avais pas pris le temps de regarder cette mère avec sa propre souffrance son besoin de perfection, son emprisonnement dans l’apparence. Demeurait en moi un a priori contre cette mère qui rendait le travail impossible.

Avant de faire alliance avec l’enfant dans le lien thérapeutique, il s’agit pour moi de faire alliance avec les parents et pour faire alliance avec ces parents là, il me faut pouvoir accepter et accueillir en moi le parent quel qu’il soit, même défaillant, inaffectif, possessif ou indifférent. Etre dans une suffisante ouverture à chacun d’eux pour les accueillir tels qu’ils sont.
- Etre dans une ouverture suffisante pour m’ajuster à ce qu’ils sont et pouvoir travailler avec eux.
- Etre dans une ouverture suffisante pour pouvoir réagir à leurs propos dans la spontanéité de l’échange sans qu’ils se sentent jugés.
- Etre dans une ouverture suffisante pour qu’en relation duelle avec l’enfant, il puisse le percevoir et s’autoriser à « critiquer » son parent sans risque (fantasmatique) de dissolution de l’image parentale.
- Etre dans une ouverture suffisante au sens de Winnicott, il ne s’agit pas que cela prenne tout l’espace psychique du thérapeute et que l’enfant n’y trouve plus sa place, mais il est tellement facile de glisser dans « pauvre pitchounet comment peut-il faire avec de tels parents » que je tiens à demeurer vigilante. L’enfant n’a pas le choix, il devra faire avec ces parents-là.
- Etre dans une ouverture suffisante à ces parents-là pour pouvoir être à la fois dans l’éprouvé de l’enfant et dans celui des parents, ce qui se joue bien souvent est à l’intersection de ces éprouvés.

Ces raisons m’amènent à voir le couple parental qu’il soit uni ou dissolu.

J’ai besoin d’accueillir les parents, tels qu’ils sont, parfois avec leur rigidité, leur inaffectivité, leur surprotection, ou autre et assimiler cela avant de recevoir l’enfant.
Voir les parents sans l’enfant me permet d’initier une alliance avec eux, sans être centrée sur l’enfant : je peux entendre la perception que chacun a de son enfant, son investissement. Observer leur communauté de penser sur l’éducation, les règles… et leurs divergences. Relever où l’enfant peut être coincé entre papa qui veut qu’il se tienne bien à table et maman qui veut qu’il mange même s’il bouge.
Lors de ce premier entretien, tandis que les parents exposent ces points, concomitamment, je suis au plus proche de mon éprouvé, ce serait comment d’être l’enfant de ces parents-là.

J’ai 3 ans comme Matéo, 5 comme Lucie ou 10 comme Paul, je suis au plus près de mes perceptions, de mes sensations, de mes émotions en tant qu’enfant de ces parents-là. Lorsque cela me semble possible et opportun (lorsqu’il s’agit de parents pas trop blessés et suffisamment ouverts), et lorsque j’ai été dans une suffisante ouverture à leur égard, je leur nomme ce que moi je ressens « vous voyez quand vous dites ou faites ceci ou cela, si j’étais votre enfant, cela me ferait… ».
Si l’accroche se fait à ce moment-là, s’ils sont réceptifs, s’ils rebondissent à mes propos et qu’il me semble que la difficulté amenée n’est pas une difficulté de l’enfant en soi, mais d’ordre relationnel ou éducative, je propose aux parents que nous nous voyons autour de cela et que nous travaillons ensemble. Dans ce cas, je ne vois pas ou rarement l’enfant.

Le thérapeute « terre meuble ».

Dans la plupart des cas, l’enfant n’a pas de demande directe ou explicite voire même, comme c’est le cas dans cette vignette, ne voit aucune difficulté manifeste. Je parle ici d’enfants entre 3 et 10 ans. Au mieux, il y a quelque chose qui les gêne qu’ils ne savent pas identifier ni nommer. Lorsque je propose à l’enfant que nous nous voyons lui et moi plusieurs fois et qu’il dit être d’accord, c’est le signe qu’il cherche, hors de son environnement habituel, la réponse à un besoin non satisfait, il y a donc pour moi indication.

Mais quel besoin ? De quelle nature ? Je l’ignore autant que lui à ce moment. Nous nous engageons donc dans cette relation à trois protagonistes : l’enfant, le thérapeute et la relation.
Comment le thérapeute entre-t-il en contact avec ce jeune client qui n’a pas de demande explicite ? Comment prend-il place dans la thérapie ? Et quelle place ? Quels sont les critères que l’on peut retenir dans la posture du thérapeute qui favorisent le déploiement du processus thérapeutique chez l’enfant ? C’est ce que je vais tenter d’aborder.

Le processus en thérapie se construit conjointement, il y a d’une part ce que l’enfant vient explorer en terme de découverte et /ou de reproduction et la posture du gestalt thérapeute. J’observe dans ma pratique que la posture initiale que j’adopte est celle de terre meuble, terre que l’enfant va pouvoir pétrir, sans restriction jusqu’à l’émergence de formes pour lui et de vécus sous cette forme par le thérapeute. Cela me permet de rentrer en contact, « de faire contact » au sens de Laura Perls avec l’enfant quel qu’en soit le mode : ludique, agressif, silencieux…
Pour cela, je dois me dépouiller totalement de tout à priori, ne pas opposer de résistance, dans un premier temps, aux façonnages de l’enfant. M’accorder selon le consept de D Stern. Prendre les formes de ses représentations et avoir accès par ce qu’il me fait vivre, à ses représentations du monde.

Critères de posture du thérapeute pour enfants

Cela suppose de la part du thérapeute de remplir un certain nombre de critères.

Ayant rencontré les parents, j’ai déjà quelques représentations de la situation. Je peux même avoir des hypothèses sur le fonctionnement familial, parfois sur la place qu’occupe l’enfant, sur l’origine de la souffrance, ou sur la fonction du symptôme. Mais je m’extrais de mes propres représentations en séance pour laisser toute la place possible à l’expression de l’enfant sans induction, ni interprétation, ni idée sur ce qu’il conviendrait de faire ou non. De même, je fais abstraction du symptôme, souvent même je l’oublie complètement. Si je demeurais avec MA représentation à priori de ce qui se passe, de ce qui fait que cet enfant ne va pas bien dans son quotidien, si je me disais que ce dont souffre cet enfant est lié à ceci ou cela, comment pourrais-je entendre ce que l’enfant a à dire, à me dire, de ses souffrances ou difficultés propres ?
A partir du moment où j’accepte de prendre cet enfant en thérapie, mes représentations, mes hypothèses s’effacent jusqu’au moment où elles peuvent parfois s’imposer de nouveau dans le champ du vécu, en séance dans notre relation (enfant/ thérapeute).

Cela veut dire faire suffisamment confiance, d’une part aux ressources de l’enfant, d’autre part au processus thérapeutique pour accepter de se sentir parfois « perdue » durant des semaines, ne plus savoir dirait

Laura Perls « vivre à la frontière » édition L’exprimerie-IFGT, Bordeaux-2001.
Daniel Stern « le monde interpersonnel du nourrisson, PUF le file rouge.

Jacques Blaize Accepter de ne rien comprendre de ce qui se joue dans la relation, accepter d’être aux prises avec le doute.

Cet état de non-savoir n’annule en rien mes acquis, mais j’en fais abstraction pour ne pas orienter, lire, entendre, voir ce qui se passe en séance avec un pré-supposé intellectuel.

Le risque dans la position de thérapeute réside dans la croyance et dans la mise en acte d’un « savoir » sur l’autre. Au moment où je sais ce qui est bon pour l’autre, je suis piégée, mon regard est orienté, mes attitudes empreintes de ces croyances. Je ne suis plus une lisse surface de projection permettant à l’enfant de jouer avec les multiples facettes de son imagination. De surcroît, j’entrave le développement du processus thérapeutique. En tant que Gestalt thérapeute, ce qui m’intéresse est ce qui aujourd’hui entrave, ce qui aujourd’hui se répète, se rejoue et bloque le mouvement et le besoin d’évolution. Je considère que l’enfant comme l’adulte est responsable de sa vie et qu’à cet égard, il peut exprimer ce dont il a besoin s’il rencontre un thérapeute qui lui offre une surface de projection suffisamment ample lui permettant de jouer, de découvrir, de rejouer et de dépasser l’inconnu, le non osé, le non permis de ses représentations.
Enfin je tente de rester vigilante à mes propres projections, aux échos qu’il peut y avoir entre cet enfant et l’enfant en moi. L’enfant nous renvoie à hier, à notre passé, qu’il soit en proximité ou en grande différence avec notre vécu, il est ce que nous avons été et par-là même peut nous toucher plus profondément. Nous savons combien notre enfance pèse sur notre être au monde d’adulte.

Etre terre meuble pour entendre, ressentir avec, être juste là dans un premier temps. Une fois le lien établi, le processus va se déployer. Etre juste dans la relation, dans ce qui se vit entre l’enfant et moi, c’est être en communion avec ce que l’enfant a à dire, à manifester, à symboliser.
L’enfant n’a pas de demande conscientisée, il vient jouer. La mise en acte est plus signifiante pour lui que le mot, et a valeur auto-curative comme le démontre Winnicott.
C’est l’enfant qui sait ce qui l’entrave, il sait mais ne sait pas mettre de mots dessus. Les enfants de 4, 5, 7 ans, voire plus ne peuvent pas nommer le fond de ce qui limite le développement de leur vie, et parfois ce n’est pas nommable car trop ancien, trop niché dans le début de la vie.
Terre meuble, je me laisse guider par eux, ils me conduisent dans leur monde imaginaire et réel et me permettent ainsi de percevoir, de ressentir ce qu’ils ressentent, ce qui fait nœud, c’est seulement à ce moment que je peux leur proposer une autre voie que l’impasse dans laquelle ils sont.

Tout d’abord, je tente d’appréhender le mode de contact de l’enfant, percevoir comment c’est, pour lui, d’être en contact tant dans le jeu, l’échange, la réussite ou l’échec d’un dessin ou d’une construction. Je fais écho à ce qu’il propose en étant le plus possible collée à sa représentation, un peu comme pour lui dire « la répétition, on va la vivre ensemble ». Cela permet d’une part l’alliance thérapeutique et d’autre part prépare à la phase plus tardive de la différenciation où je sors progressivement de cette adhésion et je propose à l’enfant de trouver d’autres modalités qui seraient également bonnes pour lui.

Vignette illustrant le concept de terre meuble

Je pense à Laura, 7 ans en début de thérapie, seconde d’une fratrie de 3. Les parents me sollicitent sur avis du pédiatre. Tous les examens ont été faits, il n’y a pas de problème physiologique, mais Laura ne grandit pas, elle a la taille d’une enfant de 4ans ½ .

Donald W Winnicott « jeu et réalité » folio 398 essais
Jacques Blaize « ne plus savoir » phénoménologie et éthique de la psychothérapie. L’exprimerie IFGT, Bordeaux

C’est une petite fille « trop sage » disent ses parents, elle s’isole volontiers, elle n’est pas sûre d’elle, parle peu. Elle présente d’importantes difficultés d’apprentissage et va devoir redoubler. Elle se comporte comme

un petit enfant, ne se lave ni ne s’habille seule. Les parents quant à eux, montrent une relation très haute en couleur avec éclats de voix, oppositions et déclaration d’amour, un mode d’expression très vif en permanence.
Laura est une petite fille qui se présente comme fragile, souriante, douce, calme, telle que ses parents l’ont décrite. Mais dès la première séance, elle se montrera autoritaire, proposant des jeux où elle me domine (elle est la maîtresse, je suis l’élève) et me sermonne. Il y aura tout un tas d’étapes imbriquées avec Laura. Elle redeviendra la maîtresse à d’autres reprises mais progressivement elle ne me sermonnera plus, je deviendrai la meilleure élève de la classe. On peut émettre l’hypothèse qu’il y eut au travers de ce jeu une mutation de ses représentations notamment par rapport à l’échec.
Pendant une longue période, un jeu revenait à chaque séance : papa, maman et trois enfants poneys (ce qui correspondait à sa propre configuration familiale) passaient 45 minutes à se disputer, se taper, se punir et je
devais participer à ce jeu en respectant les consignes. Je suis alors, selon les jours, une des enfants poneys, parfois les trois. Elle, elle est la mère et elle me dicte ce que je dois dire et faire, me soumettre, demander pardon… Peu à peu, je sens une complicité s’instaurer dans notre relation, elle arrive un après midi en m’annonçant avoir rêvé de moi : « il y avait plein de coiffeurs qui faisaient de jolis dessins sur tes vitres, c’était beau ».
A partir de là, j’ai le sentiment que l’alliance thérapeutique est créée et que peu à peu, je peux décoller du mouvement que Laura impulse pour introduire d’autres modalités de relation, je perçois que c’est possible et recevable pour elle. Je m’autorise certaines latitudes de réactions, en tant qu’enfant poney je réclame l’arbitrage du papa ou encore je dénonce le fait qu’il ne soit pas juste de me punir pour quelque chose que je n’ai pas fait…
Une autre période se déroule autour d’une baguette magique qui permet de faire se réaliser ses rêves. Il y a aussi le jeu de l’escalier autour de :« j’ai touché » (une hauteur de marche), comme pour vérifier de semaine en semaine si elle peut toucher plus haut.
Tous ces jeux qu’elle propose sont dans un systématisme de répétition du début à la fin de la séance, parfois c’est un jeu unique, parfois une succession de ces divers jeux dans un ordre toujours identique.

Progressivement, je respecte de moins en moins les consignes. Laura est d’abord surprise puis paraît insécurisée et désarmée. C’est la qualité de notre relation, la sécurité que je lui procure qui lui permet peu à peu de s’adapter aux imprévus que je propose, elle trouve progressivement d’autres réponses que celles qu’elle avait imaginées.
Là, je suis sortie de la phase d’accueil pour entrer dans une phase de soutien, c’est une position un peu plus active dans l’accompagnement où je mets en évidence par des mots ce qui se passe.
Un jour je lui dis en avoir assez de faire toujours la même chose et que cela ne m’amuse plus, la semaine d’après elle déclare « on va faire le même jeu que la dernière fois, mais cette fois autrement ». C’est la première fois qu’elle annonce pouvoir sortir de la répétition pure.
Parallèlement à ces jeux et à leur évolution dans la relation, je note que 6 mois après notre rencontre, elle demande systématiquement à aller aux toilettes pour faire « pipi ». Elle insiste pour que je vienne avec elle et reste à proximité, elle laisse la porte ouverte et vide son intestin. Elle me demande de lui parler pendant ce temps, elle a manifestement besoin de vérifier que je suis bien là, sa voix est chargée d’inquiétude « tu es là, hein ! tu es là ? ».
A la quatrième séance toilette je lui réponds « non je ne suis pas là », je sens une réelle tension dans sa voix quand elle insiste « hein ! tu es là » et je réitère « non je ne suis pas là », puis devant son inquiétude je rajoute « à ton avis quand je te dis que je ne suis pas là et que tu m’entends te parler, c’est que je suis là ou que je suis partie ? ». Ssilence, puis elle rit « oui tu es là ». A ce moment, je sollicite Laura afin qu’elle fasse la part des choses entre le dire et ses propres perceptions et qu’elle puisse évaluer ce qui est juste pour elle, elle identifie d’ailleurs facilement ce qui est exact pour elle puisqu’elle en jouera plus tard.
Elle continue ainsi à venir déposer son caca avec une grande régularité, ce qui prend une place importante dans nos rencontres. Peu à peu, elle me demande d’être plus près de la porte des toilettes, de rester juste derrière la porte entre-ouverte.
Entre deux séances de jeux, elle a parfois de courts moments d’abattement, elle se recroqueville en position fœtale et geint comme un nourrisson. Je pose alors ma main sur son dos que je caresse doucement et dis « ces pleurs me font penser à un tout petit bébé qui serait très triste ». Laura n’a jamais répondu.
Une autre fois, elle se tortille et annonce qu’elle a besoin d’aller aux toilettes et « tu viens avec moi », une fois en bas, elle rit, « ce n’est pas vrai », nous remontons dans la salle. Quelques temps plus tard, idem « j’ai besoin d’aller aux toilettes, viens avec moi », nous redescendons. Même rituel, porte entrebâillée « tu es là » « oui, je suis là » « tu m’attends » « oui, prends ton temps, je t’attends », puis « tu es là ? » « non, je ne suis pas là » « tu n’es pas là, hein ! ».
« Il y a une araignée » dit-elle sur un ton qui évoque la peur. « Lorsque tu auras fini, je retirerai l’araignée » « non, maintenant, j’ai peur » dit-elle d’une voix tremblante, « tu veux que je vienne ? » « oui ». Je rentre dans les toilettes, Laura rit en disant « c’est pas vrai ! », je souris et ne fais aucun commentaire car j’ai alors le sentiment que tout ce qu’elle joue en ce moment n’est pas à son terme. A ce moment en tant que gestalt thérapeute, il s’est agit en restant au plus proche de mon awareness de tenir, c’est à dire d’avoir présent la notion de durée de l’engagement dans le temps et de maintenir cette position de témoin, de fil continu.
La fois suivante, après une dizaine de minutes de séance « tu entends mon ventre » « non je n’entends pas ton ventre », elle sourit, reprend le jeu des poneys puis met sa main sur mon ventre et sourit de nouveau, cette fois sans rien dire. Elle se dirige alors vers la porte, l’ouvre en disant « tu viens », cette fois il ne s’agit pas d’une demande mais d’une injonction par le ton. En descendant, nous voyons la chatte de la maison, Laura s’assied sur une marche, la chatte vient se blottir sur ses genoux, Laura la caresse. Je lui rappelle qu’elle semblait avoir envie d’aller aux toilettes « non, je n’ai plus envie ». Nous remontons suivies de la chatte. « C’est quoi ça ? » demande Laura montrant l’orifice anal de la chatte, « c’est le trou par lequel elle peut faire caca, c’est comme nous, nous c’est entre les fesses, chez les animaux à quatre pattes c’est sous la queue » Laura paraît gênée, puis « c’est quoi ? » désignant les mamelles, je lui réponds également. Elle reprend de suite son jeu de poney et pour la première fois, je la vois être physiquement violente avec les jouets, écrasant le poney qui représente la plus petite des enfants, shootant dans la plus grande, les envoyant au fond de la pièce. Il ne reste plus que l’enfant du milieu et la maman, Laura a un sourire de satisfaction.

Enfin quelques semaines plus tard, « viens il faut que j’aille aux toilettes », quelques marches plus bas « non, je vais attendre », nous remontons sans que je dise mot.
Toutes les 2 minutes elle me demande combien de temps il reste, puis elle redemande à descendre aux toilettes. Elle me demande de venir plus près, j’évalue avec elle ce que c’est que plus près…c’est être dans les toilettes avec elle. Je m’accroupis auprès d’elle, nous sommes en silence, quelques petits bruits de ventre et de l’expulsion sont audibles, au premier elle paraît un peu gênée, puis poursuit paisiblement. Nous restons en silence et je lui fais part de ce qui est présent pour moi : « je te remercie de ta confiance, Laura, de faire caca avec moi », elle ne dit pas un mot, mais elle a un grand sourire sur le visage et les yeux humectés.
Dans cette ultime phase, ma fonction a été contenante, en offrant un cadre au sens de protection, de sécurité, en l’accompagnant jusqu’au bout de son expérimentation et en lui montrant que je pouvais supporter cela, j’ai permis à Laura d’aller au bout de cette expérience.
Quelques mois plus tard nous nous disons au revoir. Laura est 2 fois retournée aux toilettes, porte fermée. Laura est autonome corporellement, elle a des amies, exprime volontiers ses positions. Ses résultats scolaires sont très satisfaisants. Elle a un peu grandi physiquement et beaucoup dans son comportement, plus personne ne la traite de bébé.

J’ai choisi de prendre cette situation pour illustrer mes propos sur le thérapeute « terre meuble » afin de montrer comment je me suis laissée guider par Laura, ses besoins, les processus de répétition qu’elle a elle-même mis en place. Moi, j’ai juste été là, bien présente, mais le moins possible interprétante.
Ma présence a été parfois soutenante, parfois contenante et aussi confrontante.
Je l’ai accompagnée tout au long de son processus, prenant tantôt, à sa demande, la place de la mère mal traitante (dans ses jeux), tantôt celle de l’enfant qui, bien que faisant de son mieux ne donne jamais satisfaction à son entourage. Ce n’est qu’après avoir senti, perçu que le lien thérapeutique était établi dans une confiance que j’ai introduit des changements dans les règles imposées par Laura, soit en ne respectant pas ses consignes, soit en lui disant « moi j’en ai assez de toujours jouer à la même chose, cela ne m’amuse plus ».

Cette introduction permet d’élargir le champ de l’expérience relationnelle, c’est à dire ouvrir à d’autres possibles. Solliciter Laura pour qu’elle trouve d’autres jeux, d’autres interactions avec moi, c’est élargir le champ de l’expérience, cela lui à aussi permit d’expérimenter la complexité du champ et notamment la co-existence du bon et du mauvais. Probable sortie de clivage.

Ce qui m’amène à confirmer que la juste position est celle de ce dépouillement dans cette force de rencontre qu’est l’awareness. Cette conscience immédiate et implicite du champ me permet d’entendre, de ressentir avec, d’être dans une perception des ressources et souffrances de l’autre me permettant de l’accompagner jusqu’à une remise en mouvement de son processus évolutif.

Voilà donc les deux axes essentiels de ma pratique de thérapeute d’enfants et d’adolescents, ils sont pour moi complémentaires. Je ne peux envisager un travail thérapeutique, comme celui exposé, sans qu’il y ait eu préalablement un temps de travail avec les parents. Là il s’est agît d’un travail que je nomme « passif », après deux entretiens préliminaires, je n’eus que des contacts de loin en loin avec les parents. Il m’a semblé que la situation ne nécessitait pas davantage d’implication personnelle. Dans d’autres cas plus fréquents d’ailleurs, les parents sont inclus da façon « active » soit dans une alternance parents / enfant, soit dans un travail quasi exclusif avec les parents.


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